L’obsolescence programmée des échelles de maturité

Bon, j’avoue, le titre se veut volontairement racoleur pour attirer votre attention 😁 Au final, vous verrez qu’il ne s’agit d’abandonner l’outil « échelle de maturité », mais de le transformer pour un usage pertinent à l’heure de l’anthropocène 😀

C’est quoi, une échelle de maturité ?

Le TRL (Technology Readiness Level ou niveau de maturité technologique) est un système de mesure employé pour évaluer le niveau de maturité d’une technologie. Développé et utilisé d’abord par la NASA dans les années 70/80, l’usage des TRL est aujourd’hui répandu.

Source : TRL : à quoi ça sert ? (Grenoble INP)

Lors de la dernière session des Labonautes (programme sur le futur des labos d’innovation publique), il en a été question autour du développement des TRL aux CML (Concepts Maturity Levels) ou niveau de maturité des concepts:

Dans le cadre de ses travaux de recherche, Mathias Béjean a appliqué les CML dans la communauté des Livings Labs des “medtechs” (technologies de la santé). Les CML des Living Labs Medtech comprennent 7 niveaux, une métrique, un langage partagé et un processus déterminé pour des moments d’évaluation formatifs pour déterminer si le groupe est prêt à passer à l’étape de travail suivante.

L’innovation centrée-utilisateur dans la santé : pourquoi s’inspirer du spatial ? – Mémoire d’ELIZIANE SIQUEIRA, ENSCI – LES ATELIERS 2019

Pour les labos d’innovation publique, l’échelle pouvait permettre de positionner le labos dans la vie des projets : accompagne-t-il de simples idées, des concepts construits, des expérimentations… ? et jusqu’où les accompagne-t-il ?

Mon propre usage d’une échelle de maturité

A l’automne 2020, je me suis créé un outil croisant les 3 horizons (dont je parlais dans ce billet : Transformation : agir depuis le futur émergent) et une échelle de maturité de ma composition (pas très originale) : semoir, (compost), germe, pousse, plante, fruit.

Cela donnait ça (état à mars 2021) : une feuille par horizons, et une échelle de bas en haut qu’on ne distingue pas sur la photo (c’est du DIY, et c’était à usage perso 😉 c’est pourquoi je vous ai ajouté la légende. On repère tout de même assez bien les idées dans le semoir tout en bas.

Que traduisent les échelles de type NASA ?

Ces échelles incarnent à mon avis les mythes de la modernité d’une croissance infinie et d’une ligne du temps unidirectionnelle synonyme de progrès. C’est sûr que les limites terrestres ne sont pas le coeur de métier de la NASA à la base ! On sent pas loin les mantras des gourous de la Silicon Valley : si c’est pensable, c’est faisable, et si c’est faisable, ce sera fait. Les idées n’ont que vocation à se développer pour atteindre une maturité éternelle. Certes, dans les faits, certaines stagneront à des niveaux intermédiaires (dans une du principe de Peter ?), mais justement sans autre perspective.

Note : dans la version des Living Labs Medtech présentées juste avant, on voit des boucles « itérations de design » qui peuvent permettre de valider le passage au niveau supérieur et éviter l’effet « principe de Peter ».

Que change ma version ?

L’introduction du niveau « compost » que j’ai intercalé entre semoir et germe vient briser l’unidirectionnalité. En pratique, une idée passera du semoir aux germes dès que je vais initier un début d’implémentation. Par la suite, à tout niveau de développement, une idée dont l’implémentation est un échec peut rejoindre le compost. Les idées peuvent donc redescendre l’échelle (pas chaque échelon) et pas simplement monter : tout ne vas pas dans le même (bon ?) sens.

Ensuite, les multiples horizons font que les fruits produits des idées les plus matures dans le 1er horizon vont pouvoir alimenter (le semoir ou les germes) des horizons suivants. Il y a une amorce de cycle.

Comment aller plus loin ?

De l’échelle au cycle de maturité

Surtout lorsque l’on prend une métaphore du vivant comme pour mon échelle, il devient nécessaire de penser la maturité comme un cycle. C’est ce que je repère dans la mission que le conduis actuellement dans un cadre assez proche des labos d’innovation publics évoqués précédemment:

Aller au bout du cycle

Mais il manque encore dans cette version, lorsque la maturité devient pourrissement du fruit et de la plante, bref quand le projet ou l’activité deviennent obsolètes (ce qui se traduit par le changement d’horizons dans mon outil).

Cela fait écho au projet Stewarding Loss qui vise à concevoir pour des cultures régénératives et la fin/fermeture des organisations (cités dans le billet Transformation : surfer les vagues), et aux travaux Closing worlds Initiative du Origens Media Lab qui vise la redirection écologique (n’ayez pas peur de cliquer sur ce lien car c’est en français comme les noms de l’indiquent pas 😉

Il faut donc prévoir deux circuits de valorisation (terme que je préfère à ce lui de capitalisation justement problématique !) :

  • un circuit d’alimentation : qui permette de collecter les fruits des projets/activités et de les distribuer prêt à consommer (ce qui n’empêche pas chacun de les transformer et de faire sa cuisine)
  • un circuit de compostage : qui permette de décomposer les échecs, et d’organiser un pourrissement sain des projets/activités devenus obsolescents, pour en faire le terreau de futurs projets.

PS : j’envisage de faire un billet pour présenter mon outil un jour. Patience, ou mettez-moi la pression 😅

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